De la possession à l’oppression : les animaux du foyer pris en otage dans les violences conjugales.
Ou comment les actions en revendication de propriété des animaux du foyer peuvent constituer des indicateurs pertinents de violences psychologiques intrafamiliales
Au fil des siècles, le patriarcat s’est juridiquement exprimé à travers la notion de propriété.
Jusqu’au XXème siècle, le droit organisait l’exclusion de l’épouse des actes patrimoniaux.
Ce n’est qu’en 1965 que la femme mariée a pu exercer une profession et gérer ses biens propres sans autorisation maritale, et il a fallu attendre 1985 pour consacrer l’égalité dans la gestion des biens communs (loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985).
La puissance et le pouvoir étaient alors associés à la possession, la femme devant obéir.
Le rapport « À VIF » du 25 novembre 2025, remis au Garde des Sceaux par Madame Gwenola Joly-Coz, première présidente près de la cour d’appel de Papeete, et Monsieur Éric Corbaux, procureur général près de la cour d’appel de Bordeaux, aborde sans détour cette notion de patrimonialité genrée dans la lutte contre les violences intrafamiliales, à travers:
- le concept de contrôle coercitif, et la mise en dépendance économique, ou la surveillance des dépenses,
- le féminicide décrit comme un crime de propriétaire : « tu es à moi pour la vie», « tu m’appartiens pour toujours»,
- l’instrumentalisation des biens ou des êtres (enfants, animaux,) pour prolonger l’emprise sur la femme.
Ce rapport dénonce également les survivances patriarcales dans certaines pratiques judiciaires et la persistance de croyances dans les représentations sociales.
Dans ce contexte, les actions en revendication de propriété des animaux du foyer constituent un indicateur pertinent de violences psychologiques intrafamiliales.
1. La revendication de propriété : un révélateur de domination
Trop souvent les actions en restitution d’animaux du foyer sont encore abordées sous l’angle strictement patrimonial (« Qui a payé la facture ? »), ce qui est un non-sens au regard de l’article 515-14 du Code civil, qui dispose que :
« Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité, soumis au régime des biens sous réserve des lois qui les protègent. »
Ces lois imposent que l’animal vive conformément à ses besoins physiologiques, ce qui inclut nécessairement le lien d’attachement de qualité avec son humain du foyer.
Comme le souligne un vétérinaire-psychiatre « l’acte d’achat est bien peu de chose en regard d’une relation qui a comblé les attentes de l’animal ».
Du côté de l’humain, le sondage Ipsos (2023) révèle que « pas moins de 97% des possesseurs déclarent ressentir un attachement profond envers leur animal, allant jusqu'à le considérer comme un membre à part entière de leur famille (68%) ».
Une enquête Santévet/Ipsos (2025) indique que 36% des Français considèrent leur animal comme leur enfant, avec des pointes à 46% chez les femmes de 35 à 44 ans.
Le lien d’attachement, composante du droit au respect de la vie privée, a d’ailleurs été considéré comme une liberté fondamentale par le Conseil d’État dans un arrêt du 20 novembre 2023.
On comprend alors l’enjeu affectif que représente l’animal du foyer en cas de séparation et encore plus dans un foyer violenté.
Dans un couple sans violences, la question de la garde de l’animal se règle de manière pragmatique au regard des liens d’attachement, des conditions de vie à offrir avec parfois la mise en place d’une jouissance partagée.
En présence de violences, l’animal devient un instrument de choix pour harceler, blesser ou maintenir l’autre sous son contrôle.
Ainsi, la revendication de propriété d’un animal du foyer, lorsqu’elle s’effectue en dehors de tout lien d’attachement réel et qualitatif, doit être considérée comme un signal fort, surtout si elle s’accompagne d’autres indices (absence de motivation liée au bien-être de l’animal, volonté manifeste de nuire, refus de toute solution amiable).
3. Les réticences judiciaires à la reconnaissance du statut de victime
Contrairement aux violences physiques, aisément objectivables, les violences psychologiques demeurent les « parents pauvres » de la lutte contre les violences intrafamiliales.
Les victimes peinent à être entendues par les autorités judiciaires : leurs plaintes sont souvent accueillies avec scepticisme, et la culpabilisation persiste (« Pourquoi n’êtes-vous pas partie ? »).
Dans ce contexte déjà dégradé on peut aisément imaginer le sort réservé aux plaintes pour harcèlement ou violences psychologiques par l’instrumentalisation des animaux !
Cette instrumentalisation de l’animal est non seulement oubliée par les praticiens, mais parfois volontairement écartée par crainte de stéréotypes. La femme qui se bat pour son animal est perçue comme une personne instable ou déséquilibrée, là où l’homme revendiquant son « droit patrimonial » apparaît rationnel.
Cette disparité dans l’évaluation de la situation révèle la persistance des représentations patriarcales.
Pourtant, ces actions en revendication de propriété constituent des opportunités de dépistage des violences psychologiques, dont les femmes sont majoritairement victimes.
Avec la Confédération Nationale Défense de l’Animal, nous avons compris la nécessité de venir en aide à ces femmes, plus rarement ces hommes, qui refusent de partir ou de parler pour protéger les animaux qu’ils aiment.
Protéger les uns et les autres c’est protéger toute la famille humaine et non humaine.
C’est dans ce contexte que la Confédération Nationale Défense de l’Animal a mis en œuvre les conventions VIF pour accueillir à ses frais les animaux du foyer pendant 15 jours renouvelables une fois.
Ces conventions ont été signées pour l’heure avec les procureurs généraux de Toulouse, Monsieur Nicolas JACQUET, et d’Aix-en-Provence, Monsieur Franck RASTOUL.
Mais l’institution judiciaire doit aller plus loin et accueillir ces femmes et ces hommes, en leur qualité de victimes.
Ces personnes sont souvent dans un état de sidération et viennent chercher de l’aide sans pouvoir nécessairement qualifier la nature des violences subies : harcèlement moral, contrôle coercitif, etc.
Elles se heurtent alors à des réponses stéréotypées : « Ce n’est qu’un chien », « C’est normal l’animal est à son nom », « Il n’y a pas de violences « etc.
Ces réactions nient tant la gravité des faits que le statut de victime des plaignante, aggravant leur isolement.
Chaque action en revendication de propriété d’un animal doit donc être examinée sous l’angle du contexte relationnel et des indices de violences psychologiques, afin de ne pas passer à côté d’une situation de danger.
Conclusion
La revendication de propriété d’un animal ne doit pas être réduite à une question patrimoniale.
Elle constitue un indicateur précieux de violences psychologiques, révélant la persistance d’une logique patriarcale où la possession demeure un instrument d’oppression.
Il est urgent d’intégrer cette dimension dans la formation des magistrats, des forces de l’ordre et des avocats, afin de mieux protéger les victimes et leurs animaux.